Réincarnation

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Je me promène de l’autre côté du ciel. La tête en bas dans le vide éthéré j’erre sans but et sans point de départ. Je recommence ma vie. Dans ma tête. Trop tard. Les prémisses de mon futur ne m’enchantent guère. C’est le dernier jour de ce qu’il ne reste pas de mon existence. Un calme sourd et liquéfié m’emmitoufle de son souffle sans doute vital. Un fil d’air à peine audible qui semble pourtant me remplir et entretenir des arcs réflexes synaptiques en me soulevant régulièrement les poumons. Mon cœur au tempo erratique ne bat plus qu’au souvenir d’un écho aussi lointain qu’atténué. Les dernières ondes désespérément circulaires que génèrerait un caillou jeté à l’eau.

Un voyage en stase plus qu’en extase. Jamais je n’avais été si loin sans bouger. Je n’ai pas faim. Je ne ressens pas la soif. Pourtant il me semble que ça fait des mois que je n’ai rien bu ni mangé. L’ai-je déjà fait d’ailleurs ? Sans doute une application insoupçonnée de la Loi sur la conservation de l’énergie. Immobilis in mobile mon cher capitaine. Pas de dépense, pas de besoin. Si tout pouvait être aussi simple.

Les sens me manquent. La panne bête. Je n’ai goût à rien. Littéralement. Je ne sens même pas ma salive et le besoin de déglutition m’apparait comme un simple souvenir à fabriquer. L’olfactif n’est pas mieux loti. Mais au moins, ce manque-là me paraît préférable en l’état actuel des choses. J’écoute par contre. Mais je n’entends pas. Je suis en éveil auditif, prêt à intercepter le moindre message brisant en deux le silence. Mais le silence dort et rien ne paraît pouvoir le sortir de sa torpeur. Je ne m’entends même pas réfléchir. J’ai oublié le son de ma voix et l’acception des mots. Mais non c’est n’importe quoi. Comment pourrais-je savoir que j’ai oublié les mots si je ne connais plus le sens de l’oubli ?

Le toucher. Ça je m’en rappelle. Frissons de plaisir ou perles de douleurs, les mêmes effets produits par différentes causes. La caresse chirale attaquant par procuration mes muscles horripilateurs sans contrainte de résistance. Sur moi le passé qu’on posait. Le futur conditionné.

Je ne vois que mes paupières. Plus exactement leur face antérieure. Plus les choses sont proches et moins elles sont visibles. Le flou amplifie le flou et la focale de mes pupilles ne peut absorber la proximité de ce rideau de chair. Pourtant je devine derrière des disques mobiles. Des visages peut-être. Concentration maximale. Oui des visages. Familièrement inconnus.

Mélange de sentiments ressentis. Ces faces qui me font face jouent au théâtre de la nuance dans les grandes largeurs. Arc-en-ciel d’émotions du soulagement indigo à la contrition écarlate. Des mouvements aléatoires brassent l’ambiance sans cadence précise. Soudain – enfin quelque chose de soudain, la routine accidentée - davantage de visages flottant au-dessus de corps opalins. Tous se rapprochent comme des abeilles hypoglycémique flirtant autour du sucre oublié.

J’ose une pensée égocentrique. Serais-je l’épicentre de ce chaos gravitationnel ? Je me sens comme l’étoile d’un système que je ne contrôle pas mais que je dirige pourtant. Aurais-je contre mon gré provoqué une réaction en chaîne de mouvance centripète à mon endroit ? Ils attendent quelque chose de moi. Ma conscience veut me parler. Reprendre le dialogue avec mon être. Deux amis perdus qui se retrouvent, des frères siamois séparés qu’on ressoude.

Nouveau venu dans ce qu’il faut bien que j’appelle mon champ visuel. Mais rien de commun avec les visages qui me hantent. Cette apparition, je parviens à la contrôler. Avant. Arrière. Rotation. Préhension. Appréhension... Une main. Ma main. Puis une autre, plus grande. Attrapant la première. Celle-là je ne la contrôle pas mais elle ne me fait pas peur.

Et cassure du silence. Comme un tsunami de décibels le son se déverse dans mes conduits auditifs. Un brouhaha où je distingue par intermittence des phonèmes dont la banalité me semble extraordinaire.

Je vois j’entends je touche je suis touché je sens et je sens que j’avale. Je renais en moi-même je réinvestis mon bastion de chair je veux dire je veux parler je veux crier je veux hurler comme si c’était la première fois, la première gorgée d’oxygène qui m’arrache une douleur salvatrice. Je vis ou je revis. Je m’incarne je vais être mon propre rôle à nouveau. Je suis prêt. Les répétitions sont terminées. En route.

— Fécilitations madame, c’est un garçon

Voir aussi dans le cadre du cycle vie/mort

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