L'histoire du mouchoir en papier

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Les objets usuels n'ont pas fini de nous étonner. Ainsi, à l'instar du fromage blanc inventé à l'origine pour colmater les joints entre deux fours à micro-ondes (eux-même conçus pour servir de cloisons chauffantes) ou du cintre dont l'usage s'est généralisé alors qu'il avait été initialement conçu pour empêcher les avalanches de parkas suite au drame de l'hiver 1904 à H&M, le mouchoir en papier a une histoire passionnante et riche en rebondissement.

Derrière ces petits paquets se cache une histoire passionnante et pleine de rebondissement.
M'enfin, vous n'allez pas me dire que vous n'avez jamais vu des mouchoirs en papier !

Bande-annonce

Parce que l'histoire qui va suivre est passionnante et pleine de rebondissement (même si ces deux adjectifs seront largement sur-exploités ici), et est donc super longue, et parce que certains d'entre vous n'ont pas le temps de tout lire d'un coup, voici, avant de commencer, la bande-annonce de cet article[1] :

Il y a bien longtemps, dans une contrée sauvage...

décor de forêt luxuriante, zoom entre deux arbres

Un homme...

apparaît alors un homme, marchant tranquillement dans la forêt

... un homme qui inventa...

l'homme se retourne vers la caméra, la fixe des yeux

... le MOUCHOIR EN PAPIER...

l'homme sourit bêtement et tend un signe de pouce, se qui montre clairement qu'il a eu une super idée

fondu enchaîné sur un lave-linge qui tourne

L'histoire passionnante d'un morceau de papier

le linge, dans le lave-linge, tourne

Attirant toutes les convoitises

le linge tourne toujours

Déclenchant toutes les guerres

le linge tourne

Mais gagnant toutes les batailles

le linge tourne

S'étendant dans le monde entier, faisant la joie des petits et des grands

le linge tourne

Une histoire pleine de rebondissement

le lave-linge s'arrête soudain ! Ça y est, le programme est fini

À travers les nations et les âges

Fondu enchaîné sur un building sur lequel grimpe un gorille géant

Une histoire de puissance

Fondu enchaîné sur un télétubbies qui n'a pas l'air content

Une histoire de violence et de haine brisant des hommes et des familles

Fondu enchaîné sur Steevy

Une histoire tragique !

Fondu enchaîné sur une pâquerette

Mais aussi une histoire heureuse

Fondu enchaîné sur de nouveau le building avec le gorille, pour des questions de budget

Une histoire de passion

Fondu enchaîné sur Satanas et Diabolo qui se roulent une pelle

Une histoire d'amour

Fondu enchaîné sur un paquet de mouchoir en papier

L'histoire passionnante (et pleine de rebondissement aussi) d'un petit carré de papier

qui sauva la planète et qui se range facilement dans la poche.

Bientôt (voire tout de suite) sur sencyclopédie !

1876 - Le comte Charles-Henry de le Mouchoir

Blason de la famille de le Mouchoir.

Bien que les vrais mouchoirs, en tissu, existent depuis la nuit des temps, et ce même avant l'apparition du tissu, le concept de mouchoir en papier n'est apparu dans les écrits qu'au XIXe siècle sous la plume d'un savant et philosophe marginal, le comte Charles-Henry de le Mouchoir.

À l'époque, les comtes n'avaient même plus le droit de rôtir des pucelles ou d'écarteler les marauds, et étaient relégués à croupir dans leur château tout pourri. C'est dans le célèbre château de le Mouchoir, aux magnifiques couleurs vert-jaune, que le comte, retiré de la vie de ses contemporains, travailla à sa plus grande oeuvre : Morvum, grand traité de la morve, sorti en 1876.

Cet ouvrage, tiré à un seul exemplaire, disparut dans des circonstances qui vous seront relatées par la suite. Cependant, au delà du rôle majeur, reconnu par tous les experts en mouchoirologie, qu'il eut dans la naissance du mouchoir en papier, l'existence de l'ouvrage a été confirmée par des historiens contemporains de le Mouchoir :

« Heri, lecto Morvum, grand traité de la morve, nihil est suprema cretinium »
~ Tite-Live à propos de ses activités du week-end
« N'achetez pas "Morvum", ce bouquin est nul, et on devine le coupable avant la fin ! »
~ Ernest Renan à propos de ce qu'il faut pas acheter

Détruit par les mauvaises critiques que reçut son livre, Charles-Henry de le Mouchoir se donna la mort en s'enveloppant dans un grand drap de soie et en se rangeant dans sa propre poche.

1902 - Flukje Zakdoekjes

Il n'existe évidemment aucune photo connue de Flukje Zakdoekjes. Alors, pour compenser, voici un teckel habillé en Père Noël.

L'ouvrage se perdit pendant plusieurs années, parce qu'il avait été rangé dans la section maladies de la peau illustrées de la bibliothèque.

Ce fut en 1902 qu'un petit Hollandais détraqué parcourut l'ensemble des livres de cette section, et tomba par hasard sur le bouquin de de le Mouchoir. Passé la première déception (le livre était moins imagé que les autres), le petit Flukje, alors âgé de 12 ans, se rendit rapidement compte qu'il y avait du fric à se faire.

Parce qu'à l'époque, le petit Flukje, en plus d'être un malade mental fantasmant sur les furoncles, était extrêmement pauvre, fils d'une famille d'immigrés de huit enfants vivant dans une cuve à pétrole. Le père, travaillant comme cheval de trait, rentrait crevé de son boulot, mais pas suffisamment pour ne pas fouetter ses huit enfants et sa femme avec un chat de gouttière et pour ne pas faire des jeux de mots pathétiques[2]. La mère passait toute la journée à guetter l'arrivée du type chargé de remplir la cuve. Lorsqu'il s'apprêtait à verser le liquide, la mère de Flukje s'écriait : "non, non, pas la peine, je suis remplie". Elle passait ensuite le reste de la journée à faire des bruits de liquide (genre "ploutch ploutch") pour éviter les soupçons. La famille avait du mal à joindre les deux bouts, et les huit enfants avaient droit chacun à un dessert qu'un seul jour par semaine. Mais comme il n'y a que sept jours sur une semaine, le pauvre petit Flukje n'avait jamais de dessert, ce qui est encore plus triste quand on sait que la famille Zakdoekjes n'avait pas assez d'argent pour acheter autre chose que le dessert.

Cette photo de zona était particulièrement appréciée par Flukje Zakdoekjes. Sur ce, bon appétit. (Soyez content, j'en ai vu des pires ! Je vous dis pas ce que j'ai pu endurer pour cette connerie !)

Seulement voilà[3], le petit Flukje n'était pas vraiment un lubrique obsédé par l'eczéma (pas totalement). En fait, si le petit Flukje empruntait ces livres à la bibliothèque, c'était pour en manger les pages. Il avait choisi cette section parce que le manque de page ne se voyait pas, et parce que les pages n'avaient pas cet horrible goût de doigt (et aussi un peu parce que ce détraqué aimait bien les images de pustules). Alors, en tombant sur le livre de de le Mouchoir, voyant les illustrations techniques, il en déduisit une formidable invention : des feuilles de papier fin, faciles à digérer, emballées sous conditionnement hygiénique, prêtes à la dégustation.

Flukje Zakdoekjes quitta alors sa famille avec le livre de de le Mouchoir sous le bras, plus le dictionnaire de l'herpès pour manger en chemin, et partit vers la capitale, sifflotant gaiement à la manière d'un jeune homme marchant vers la fortune. Ce fut sans compter sur le terrible destin et sur une mauvaise grippe qui le foudroya à quelques kilomètres seulement de la capitale[4]. À moitié mourant sous la grêle, gisant sur le bord de la route en terre, il fut recueilli in extremis par un certain Rudolph Taschentücher.

Dans la ferme familiale des Taschentücher, le jeune Flukje, alors âgé de 13 ans, fut installé, mourant, dans un lit bien chaud, avec de la soupe chaude, des petits biscuits sortant du four et tout et tout, ce qui est quand même gâcher parce qu'il était mourant. La famille Taschentücher n'était composée que de Rudolph et de sa femme, Jean-Pierre. N'ayant pas eu d'enfants pour des raisons qui leur échappaient, les Taschentücher remercièrent le ciel de leur confier le petit Flukje, même s'il allait bientôt mourir et que c'était un Hollandais. Ils le chérirent de tout leur cœur. Flukje reprit des forces. Et, par gratitude, il leur expliqua son grand projet qui allait le rendre riche. Malheureusement, le destin est une pute et la mort est son mac[5], et le jeune Flukje mourut quelques mois plus tard. Avant de mourir, il voulait manger, pour la dernière fois, toutes les pages du Morvum, grand traité de la morve. Compatissant, les Taschentücher lui tendirent une à une les pages de l'ouvrage que Flukje Zakdoekjes mâcha et avala consciencieusement une à une aussi.

D'aucuns diront que lors de cette fin tragique, Flukje voulut dévorer le livre qui lui causa sa perte. D'autres prétendirent que Flukje voulait communier entièrement avec son livre favori. Et d'autres encore prétendirent que la soupe et les biscuits des Taschentücher étaient tout simplement dégueux. Quoi qu'il en soit, petit Flukje Zakdoekjes, tu resteras, pour tous les mouchoirologues du monde entier, un exemple de dévouement, frappé par le destin et disparu trop tôt. N'empêche, qu'est-ce que c'était que cette histoire de fascination pour les verrues ! C'est dégueulasse !

1905 - Rudolph Taschentücher

La perte du petit Flukje fut un coup dur pour la famille Taschentücher. Mais finalement, Jean-Pierre avoua qu'elle (il ?) aurait préféré un doberman, et en acheta un. Rudolph fut hautement choqué par ce comportement. Des tensions s'installèrent : Rudolph reprochant à Jean-Pierre d'avoir oublié :

  • Flukje ;
  • de faire la vaisselle ;

et Jean-Pierre reprochant à Rudolph de ne pas être capable de :

  • surmonter cette épreuve ;
  • sortir les poubelles.

Deux ans après la mort de Flukje, Rudolph quitta seul la ferme familiale qu'il abandonna à sa femme[6], et partit vers la grande ville, la tête pleine des idées du petit Flukje.

Rudolph Taschentücher dépensa l'argent qu'il avait économisé en massacrant les touristes qui passaient près de sa ferme à la création d'une fabrique de morceaux de papier doux conditionnés en paquets de dix. Issu d'un milieu populaire, Rudolph savait qu'il n'avait pas les compétences pour une telle entreprise. Il eut donc la bonne idée de s'entourer de personnel compétent grassement payé. En quelques mois, la Taschentücher Corporation était sortie de terre. Les bureaux se remplirent d'ingénieurs au service de monsieur Taschentücher. Les meilleurs artisans étaient embauchés. Les meilleurs morceaux de bois étaient achetés. Mais le produit final fabriqué par la TC restait secret. Rapidement, les rumeurs quant à l'invention géniale de Rudolph Taschentücher se répandirent dans tout le pays. Le premier mouchoir en papier n'était pas encore sorti de presse que Rudolph Taschentücher était devenu une célébrité mondaine, et que son porte-feuille débordait des investissements des actionnaires de plus en plus nombreux.

Schéma du septième prototype des usines Taschentücher Corporation, dessiné par Rudolph lui-même.

Invité à tous les cocktails mondains, Rudolph s'habitua rapidement à sa vie de nouveau riche. C'est alors qu'il rencontra Nikki Kapesnìčky, chanteuse à succès dans un bar de la ville. Une idylle naquit rapidement, tant les points communs étaient nombreux : deux orphelins ayant fait fortune en ville, ayant également eu une enfance difficile à la campagne, ayant tout les deux égorgé des passants pour de l'argent, ... Cinq ans après la fin des travaux, alors qu'aucun produit n'était encore sorti d'usine, en ce début de 1910, les journaux mondains de toute l'Europe faisaient leurs choux gras du couple Taschentücher - Kapesnìčky. Les usines avaient fleuri dans tout le pays. Et le public attendait avec impatience la révélation du produit miracle qui allait inonder le marché.

Couverture du magazine français "kermesse" de janvier 1910, consacré au couple Taschentücher - Kapesnìčky.

Ce fut le 19 février 1910, une semaine après son très médiatisé mariage, que le millionnaire Rudolph Taschentücher, du haut de son yacht "Flukje III" amarré dans le port le plus branché du pays, fit la grande déclaration. Devant une foule ébahie, il sortit un paquet de mouchoirs en papier, l'ouvrit, prit un mouchoir qu'il déplia soigneusement, et l'avala tout rond avant de toussoter un petit peu. La foule, d'abord incrédule, se plia rapidement à la déferlante. Les usines produisirent à plein régime. Pendant un mois, toute l'Europe se vit contaminée par les délicieux papiers à manger Taschentücher Corporation. Après un mois, l'engouement retomba brusquement. Les gouvernements, devant la recrudescence des coliques, interdirent la commercialisation des papiers à manger. L'Europe entière était paralysée, et Rudolph Taschentücher était en fuite. La même année, les égoutiers se mirent en grève. L'empire Taschentücher venait de s'effondrer.

Image célèbre de la fameuse grève des égoutiers de 1910. Évidemment, les égoutiers sont sous la rue.

1912 - Nikki Kapesnìčky

Publicité française pour les papiers à manger de la compagnie Taschentücher Corporation dirigée par Rudolph Taschentücher.

Ainsi, Rudolph Taschentücher avait disparu. Il ne restait plus que Nikki Kapesnìčky. Selon le droit du pays de Rudolph, toutes les usines lui revenaient. Une personne plus fragile que Nikki aurait flanché. Alors, elle flancha aussi. Elle se cacha sous les draps pendant deux ans. L'affaire se tassa. Et après deux ans, Nikki sortit de son lit, ouvrit grand les fenêtres, à cause de l'odeur, et s'écria : "Euréka", ce qui eut juste pour effet de faire peur au jardinier.

Et oui, "euréka", comme tu dis, ma grande. Parce que, pendant qu'elle pleurait dans son lit, Nikki, bouleversée par son tragique destin, avait eu maintes fois envie de se moucher. Mais tout ce qu'elle avait sous la main, c'était les nombreuses caisses de papiers à manger. Deux ans plus tard, se rendant compte de la douceur et des intérêts hygiéniques d'un tel produit, elle venait de découvrir la reconversion de toutes ses usines : le papier à manger était devenu le papier à moucher.

Le 28 juin 1912, les turbines des usines TC se remirent en marche, avec, à leur tête, la célèbre Nikki Kapesnìčky, bien décidée à reprendre sa revanche sur la vie. Mais ce fut sans compter sur le destin, qui décidément en fait chier plus d'un, qui, paf, deux ans plus tard, se dit : Tiens, il y aurait bien une petite guerre mondiale.

« Tiens, il y aurait bien une petite guerre mondiale. »
~ Ce connard de Destin à propos de comment emmerder son monde.

1919 - Hank Hankies

La guerre dévasta tout. L'empire à peine naissant du mouchoir en papier n'était plus que des cendres. Et se moucher dans des cendres, c'est pas pratique du tout. Nikki Kapesnìčky ne savait plus vers qui se tourner. Quand soudain, elle reçut une proposition d'un riche magnat du papier américain, dénommé Hank Hankies. Ce dernier avait, durant la guerre, racheté de nombreuses usines aux États-Unis. Sautant sur l'occasion, Nikki Kapesnìčky signa sans s'inquiéter, trop heureuse de se débarrasser de cette encombrante industrie qui lui avait valu tant de larmes.

Le contrat fut signé en 1919 chez Nikki Kapesnìčky, en présence des avocats de Hank Hankies. Ainsi, tous les droits, brevets et moyens de production de madame Kapesnìčky revenaient légalement à monsieur Hankies. C'est alors qu'arriva le fameux Hank Hankies, dans une grosse voiture dont j'ai oublié la marque. Le chauffeur s'arrêta dans la cour de la demeure de madame Kapesnìčky, qui se trouvait sur le seuil, entourée des deux avocats de monsieur Hankies. Le chauffeur descendit et fit lentement le tour. Il atteint enfin la portière arrière, qu'il ouvrit d'un geste professionnel. Et là...

... mais vous le saurez après une page de pub.

Publicité française pour les papiers à moucher de la compagnie Taschentücher Corporation dirigée par Nikki Kapesnìčky.

1919 - Rudolph Taschentücher, le retour

Et là, disais-je donc, sortit un homme dont Nikki connaissait bien le visage. Et oui ! Hank Hankies n'est autre que Rudolph Taschentücher[7]. S'en suivit un dialogue resté dans l'histoire du mouchoir en papier :

Nikki : Quoi ! Rudolph ! C'est toi !

Rudolph se retourne subrepticement, puis se rend compte que c'est à lui qu'on parle

Rudolph : Ben oui.
Nikki : Mais Rudolph ! Tu avais disparu.
Rudolph : Ben oui.
Nikki : Et tu es revenu.
Rudolph : Ben oui.
Nikki : Et tu as repris tout ce que j'ai défendu pendant que tu te cachais comme un lâche.
Rudolph : Ben oui.
Nikki : Oh mon Dieu, mais tu es devenu un homme sans coeur.
Rudolph : Ben oui.
Nikki : Et tu as un crochet à la place de la main gauche.
Rudolph : Ben oui.
Nikki : Oh! Quel monde injuste et cruel ! Je crois que je vais pleurer !
Rudolph : Tu veux un mouchoir en papier ! J'en ai plein, maintenant !

Par la suite, Rudolph Taschentücher dirigea son empire d'une main de fer[8]. Il installa son entreprise des deux côtés de l'océan, et s'attaqua au marché asiatique. Utilisant parfois des méthodes déloyales dont s'inspira plus tard Microsoft, il empocha de nombreux contrats à travers le monde.

Pendant ce temps-là, Nikki Kapesnìčky tenta de monter une association contre l'utilisation des mouchoirs en papier, mais sans grand succès. Elle tenta un moment de relancer sa carrière de chanteuse, mais sans grand succès. Elle ne se découragea pas, et tenta de s'étouffer en avalant des paquets de mouchoirs en papier. Cette fois-là, elle arriva à ses fins. Vous voyez : 'faut jamais désespérer.

1925 - Zinamelad Vreckovky

Très soucieux de sa vie privée, Zinamelad Vreckovky a toujours évité d'être photographié en public ou avec ses collaborateurs. Alors, on vous remet le teckel.

Le 3 juillet 1925, toute la famille du mouchoir en papier est réunie dans la grande villa sur la Côte d'Azur de leur chef à tous : Rudolph Taschentücher. Ce dernier vit ses derniers instants, mortellement frappé par une infection de la narine gauche. À la tête d'un empire mondial, qui donc prendra sa suite ? Ce sera bien sûr Zinamelad Vreckovky, puisque c'est le titre du paragraphe. Mais ça, les autres ne le savent pas. Candy, la quatorzième femme du magnat du mouchoir en papier, âgée de 19 ans, pleure à chaudes larmes à côté de son mari mourant. Momo, le garde du corps dévoué, est là aussi, de l'autre côté. Et, s'il n'avait pas deux yeux électroniques, on aurait peut-être pu y voir couler une larme. En face du lit, les dix sous-lieutenants de Rudolph Taschentücher attendent les dernières volontés de leur patron, qui va désigner son successeur. Le doigt du malade se dresse doucement dans la chaleur moite de la Méditerranée. "Toi! Déclare Rudolph Taschentücher, tu seras mon successeur". "Cool" répond Zinamelad Vreckovky. Rudolph Taschentücher plisse alors les yeux et déclare: "Ah non, c'est pas toi que je voulais montrer, je me suis trompé". "Oui mais c'est trop tard maintenant, vous avez désigné votre successeur" intervient alors un des sous-lieutenants. Les autres confirment: "C'est dit, c'est dit!". "Bon, ben voilà alors" conclut Rudolph avant de faire sortir tout le monde pour manger pour la dernière fois toutes les pages d'un bottin téléphonique. "Cool" rajouta Zinamelad Vreckovky.

Le trafic de peaux de chats, une activité illégale et juteuse à portée de tous.
La languette autocollante de fermeture des paquets de mouchoirs en papier fut inventée par Zinemaled Vreckovky. À l'origine, c'était des vraies langues.

Le règne de Zinamelad Vreckovky sur le monde du mouchoir en papier fit largement évoluer les choses. Non pas que les commanditaires peu scrupuleux ne se retrouvaient plus au fond de l'océan, ni que les concurrents n'étaient plus retrouvés truffés de plomb dans des parkings abandonnés, ni que la contrebande de peaux de chats ne venait plus agrémenter les bénéfices. Mais surtout que Zinamelad Vreckovky se montra très inventif pour le perfectionnement technologique du mouchoir en papier. Différentes versions furent alors commercialisées[9]:

  • le modèle avec trous d'aération n'eut pas beaucoup de succès ;
  • le maxi-size de 4 mètres carrés posait des problèmes de manipulation, malgré la brouette offerte à l'achat d'un paquet de 10 ;
  • le modèle réversible fit long feu ;
  • le modèle en Téflon anti-adhésion fut retiré du commerce après avoir été utilisé lors d'un braquage de banque ;
  • il s'avéra que le modèle relaxant enduit de cocaïne transgressait les lois de nombreux pays, et fut abandonné malgré un engouement du public ;
  • une batterie d'avocats empêcha in extremis la société d'être jugée coupable quand cent septante deux personnes s'enflammèrent spontanément (mais il y a eu non-lieu) ;

1939 - Baptiste Batiste

La situation ne pouvait plus continuer. L'empire du mouchoir en papier ne semblait plus avoir de limites, et risquait de mettre à mal la paix mondiale. Il fallait intervenir : détrôner le parrain actuel pour placer un homme qui restaurerait l'équilibre et la concurrence saine et non faussée.

Travaillant à l'origine pour les services secrets d'un pays qu'il vaut mieux ne pas nommer, Baptiste Batiste fut chargé de cette mission.

Après de nombreuses péripéties pendant lesquelles il dut repousser les limites humaines et accepter les pires humiliations, Baptiste Batiste parvint à infiltrer le milieu des mouchoirs en papier et à atteindre la place de premier lieutenant de Zinemaled Vreckovky. Le 30 août 1939, alors que Zinemaled Vreckovky travaillait à son nouveau prototype de mouchoir en papier à tirette, Baptiste Batiste s'introduisit dans le bureau et barra le nom de Vreckovky sur tous les papiers officiels, et le remplaça par le sien. Il s'enfuit avec sa nouvelle acquisition au moment-même où Zinemaled mourut dans l'explosion mortelle de son dernier prototype : le mouchoir en nitroglycérine.

Dernière photo connue de Baptiste Batiste, dit "Kurtz".
Des potes à Kurtz lors d'un barbecue (on peut voir la nourriture qui lève les bras).

Baptiste Batiste avait donc réussi, le 31 août 1939, à prendre la tête de la compagnie, garantissant enfin le maintien de la paix mondiale. Il ne lui restait plus qu'à remettre la compagnie dans les mains d'un industriel consciencieux de son pays. Mais voilà[10], les dures épreuves qu'il avait endurées pour se hisser à la place de numéro deux étaient gravées pour toujours dans sa mémoire, et il n'entendait pas renoncer à ce qu'il avait gagné au prix d'un si lourd sacrifice. Baptiste Batiste passa alors dans la clandestinité en restant à la tête de la compagnie.

Sérieusement traumatisé, le comportement de Batiste changea également. Il ne s'habillait plus que d'une longue toge et se faisait appeler, pour des raisons mystérieuses, Kurtz. Si les activités de l'entreprise reprirent des activités traditionnelles, en abandonnant les rackets et le trafic de peaux de chats, son patron, toujours recherché par les services secrets, disparut dans les méandres de la jungle asiatique, d'où il dirigea un groupe d'indigènes qu'il forma à l'art de bien se moucher et d'égorger les ennemis capturés sur un temple construit en son honneur.

1983 - Nίκος Χαρτομάνυτηλα

À l'achat d'un paquet de 10 mouchoirs en papier, vous permettez à ce jeune homme d'obtenir un travail dans une mine de métal lourd.

Baptiste Batiste ne donnant plus de signe de vie[11], le conseil d'administration de la TC décida, en 1983, de procéder à une OPA. La direction revint alors au dynamique entrepreneur grec Nίκος Χαρτομάνυτηλα qui est toujours actuellement à la tête de l'entreprise. Bien que disposant d'un monopole garantissant une parfaite sécurité, Nίκος Χαρτομάνυτηλα procéda à une importante restructuration pour moderniser les installations. Des outils issus de la technologie moderne remplacèrent les ouvriers qui pliaient les mouchoirs à la main[12]. Devant les pressions de la concurrence inexistante, Nίκος Χαρτομάνυτηλα dut se résoudre à procéder à de nombreuses délocalisations vers des pays en voie de développement. Les usines étant souvent déplacées dans des pays en proie à des conflits sanglants, Nίκος Χαρτομάνυτηλα se plaça sous la protection des dirigeants locaux, généralement au pouvoir pour de longues années, et créa des milices de protection spéciale, ce qui a l'avantage de faire de l'emploi[13].

Ne vous fiez pas à son regard innocent visible sur cette photo d'archive. Elle a cherché à monter un syndicat, alors, elle l'a bien mérité.

Nίκος Χαρτομάνυτηλα modernisa également le département financier, en créant des filiales dans des petits pays touristiques prometteurs, tels que le Liechtenchtein, les Îles Caïman et Monaco. De nombreuses sociétés écrans spin-offs furent également créées à cette occasion.

Grâce à ces bons investissements, la société TC multiplia par à peu près 135 fois son cours en bourse de 1980 à 1990. Par la suite, les bénéfices officiels n'augmentèrent plus, stagnant juste sous les limites de seuil d'imposition. L'application quasi parfaite des régles de gestion d'entreprise et le sens des affaires de monsieur Χαρτομάνυτηλα furent salués par l'ensemble du monde de l'entreprise international, et ses méthodes, parfois aventureuses (qui aurait cru, en août 2001, que les cours des compagnies aériennes chuteraient ?), sont aujourd'hui enseignées dans les meilleures écoles. Un exemple pour chacun d'entre nous, en somme...

Conclusion

Le monde du mouchoir en papier a traversé bien des crises et des tempêtes. Nous avons pleuré parfois.

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La nana aux cheveux bleus dit :
Pauvre petit Flukje ! Il est mort sans connaître la gangrène.


Mais nous avons ri aussi.

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La nana aux cheveux bleus dit :
Ben non, en fait.



Et ce simple bout de papier, bien rangé au fond de notre poche, nous rappellera à tout jamais ces moments extraordinaires que tous ces hommes et cette femme ont vécus pour que nous, simples petits mortels, nous puissions éjecter gracieusement notre morve dégoulinante dans un papier qui en général se déchire et qu'on en fout partout. Putain de saleté de mouchoir de merde !

Générique de fin

Mouchoirs en papier ! Ton nunivers impitoyahableuh ! Glorifie la loi du plus fooort !

Références

  1. Notez que c'est pas très malin parce que cette bande-annonce rallonge encore plus le texte. Et d'ailleurs cette référence aussi. Et chaque fois que je dis que ça rallonge, je rallonge le texte et aaaah !
  2. D'où l'expression : lourd comme un cheval mort.
  3. Premier rebondissement !
  4. En fait, il était même plus proche de la capitale là où il était parti, parce qu'il s'est un peu planté dans la direction.
  5. J'espère bien passer à la postérité avec une phrase pareille, moi.
  6. Mais elle (il ?) était aussi sa soeur, alors la ferme resta familiale.
  7. Deuxième rebondissement
  8. Et pour cause, ahah.
  9. Le terme "vendues de force" serait sans doute plus adéquat.
  10. Troisième rebondissement.
  11. Mais est-il seulement mort ! On raconte à qui veut le croire que Baptiste Batiste hante encore, avec sa troupe de sauvages qui l'idolâtrent, les rives du fleuve Jaune. D'autres disent qu'ils l'ont vu au McDo reprendre deux fois des frites ! Hum, tout ceci donne froid dans le dos, non ?
  12. Notons toutefois que la mention "plié à la main" sur les coffrets mouchoirs de luxe, est bien exacte : si les travailleurs ont été remplacés, certaines mains ont bien été gardées. Montées sur le bras de la machine, ça marche très bien.
  13. Ces milices assurent aussi la sécurité interne : par prévention, ils blessent les ouvriers qui sont distraits par les idées de syndicat ou par la faim, afin de leur rappeler que le danger, en usine, est partout.



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