Figuier

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Louis Figuier, le savant mi-figue, mi-humain.

Figuier (Ficus carica Linné) : arbre qui fait la figue. La figue est molle et suave (Acad. Fr.) La figue est molle et rare (Francis Ponge).

Louis Figuier, savant français (1819 – 1894) : descendant du précédent par sa mère et de Darwin par son chimpanzé. Louis Figuier est l’inventeur de la Science Moderne.

Histoire de la déchéance du figuier au Moyen Âge en passant par l’Antiquité et Rome

Que le figuier fasse la figue fut observé depuis la plus haute Antiquité.

Dès son premier plaidoyer, Aristote note avec justesse (Phavorinos, Mélanges historiques) : « La poire vient sur le poirier et la figue sur le figuier. » Mais quatre siècles plus tard, cette observation parvient en Galilée de manière déjà approximative : « On ne cueille pas […] des figues sur les chardons. » (Nouveau Testament, Matthieu 7:16) Un peu plus loin dans le même livre, on se rend compte que l’auteur de cette remarque ne savait pas à quelle saison venaient les figues. Puis au tout début du XVIIème siècle, Nicot dans son Thresor de la langue française essaie de masquer maladroitement son ignorance du sujet : « Figue. Espece de fruict assez cognu. » Enfin au Siècle des Lumières, Jean-François Féraud dans le Dictionnaire critique de la langue française reprend la considération aristotélicienne sur les figues et les poires. Néanmoins il commet l’erreur impardonnable de les confondre toutes deux : « Figue, sorte de fruit mou et doux, qui vient en forme de poire. »

On constate ainsi que, peu à peu jusqu’au milieu du XXème siècle, tout savoir relatif à la figue, au figuier et par conséquent au lien réciproque et mystérieux qui les unit, en vient à être complètement oublié. Aussi Alain Pontopiddan[1] peut à juste titre se désoler : « on assiste à une dégradation de l'image du figuier, comme pour une illustration d'une chute et d'un exil irrémédiables… »

Le figuier à l’aube de l’ère moderne

Or il était à cette époque, près de la jolie ville de Montpellier, un jeune couple fraîchement marié qui se désolait de ne pas avoir d’enfant. Un beau jour, alors qu’ils étaient assis dans l’herbe verte sous l’ombre d’un figuier à se régaler des figues trouvées tout autour d’eux, le jeune homme soupira : – Ah, si au moins nous savions comment faire des enfants ! - Et même si nous devions avoir un enfant pas plus gros que cette figue, répondit la jeune femme, nous l'aimerions de tout notre cœur.

Une grenouille qui sautillait par là, par purs hasard et souci entomologique (car elle était surtout curieuse de parfaire ses connaissances sur l'instinct et les mœurs des insectes[2]), entendit leurs lamentations :

- Ton vœu sera exaucé, dit la grenouille à la jeune femme. Avant qu'une année ne soit passée tu reviendras sous ce figuier où tu trouveras un petit enfant.

En vérité, aucun des deux n’entendit bien ce que dit la grenouille - on crut seulement qu’elle avait fait « couac couac ». Aussi la jeune épouse, tout en ingurgitant les fruits du figuier, continua de régurgiter à voix haute ceux de ses introspections :

- « Quel plaisir d'écarter doucement, jusqu'à ce qu'elle se sépare et se déchire, la peau soyeuse de la figue rose et mure à souhait et, les doigts encore poissés des sucs embaumés et doucereux qu’elle secrète, de glisser la langue au tréfonds de ce puits de plaisir ; puis, après avoir doucement fermé les yeux, de laper en poussant de petits cris d’animal effaré sa pulpe mêlée de centaines de fleurs minuscules et purpurines dont chacune est la quintessence de l'extase ! »

Le jeune époux que ce discours (pourtant si anodin à l’ère romantique) avait, on ne sait trop pourquoi, empli à la fois d’une étrange et terrible sensation qu’il sentait l’emporter, tout comme, quand sonne l’heure, une vague affreuse de feu emporte les violons de l’automne à la pelle, éprouvait jusqu'au fond de ses veines la sorte de vertige qu’on connaît en rêvant… et il… soudain frémissement… tout son être… et son pantalon… en proie… les rubans … déchira… à la hauteur de sa bouche… travers le taffetas lilas de sa… continue comme ça… raide et gonflée… fort, je te dis !… sentait le volume… moi-le bien…

La pauvre grenouille n’entendit que par bribes la suite de ce récit car elle avait enfoncé ses petits doigts spatulés dans les oreilles. « Impossible de se livrer à des investigations entomologiques sérieuses dans de telles conditions ! » se renfrogna-t-elle ; et, fort agacée, elle prit congé du couple et du figuier en s’éloignant prestement et par petits bonds.

Neuf mois plus tard jour pour jour toutefois, ce que la grenouille avait prédit arriva…

Parenthèse structurale

Le lecteur bienveillant nous permettra sans doute, pour une meilleure intelligence de ce compte-rendu, d’ouvrir une très brève parenthèse concernant l’étude structurale de la figue dans l’œuvre de Francis Ponge : comme il a été noté plus haut dans le résumé introductif (« la figue est molle et rare »), le poète s'acharne vaille que vaille à légitimer la mollesse de la figue. Selon Michael Riffaterre, ce mécanisme d'hypothèque sous-tendant la tautologie sémantique n'aurait rien de petit-bourgeois ; il resterait de rigueur, sous l'ombrage d'un procédé métonymo-sémiologique de « réduction systématique des possibles » (à l'égard duquel Riffaterre demeure toutefois discret), voyage en abyme où l’interprétant du texte (en tant que signe-sujet) et de l’intertexte (en tant que signe-objet) passe sous silence une deuxième structure quasi-intertextuelle capable de « médiatiser la référence du texte à son hypogramme » [3].

Cette remarque méritait sans doute d’être énoncée. Mais poursuivons le fil de notre narration

Neuf mois plus tard

Le 15 février 1819, le couple délicieux que nous décrivions un peu plus haut gambadait gaiement, main dans la main, en sifflotant en duo l’air de la Truite que venait de composer Schubert. Ils se rendaient auprès du figuier où la grenouille leur avait promis un enfant[4].

Le prénom du bambin, qui n’avait pas encore été choisi, donnait motif à une tendre querelle comme les connaissent si bien les jeunes amoureux. L’épousée espérait une fille ; elle hésitait entre Herménégilde, Agneflète, Encratide ou Pusinne. Le mari, qui voulait un garçon, avait un faible pour Hidulphe ; Aproncule, Eupsyque et Acace ne lui déplaisaient pas ; non plus que Pharmuthe d’ailleurs. Leurs candides chamailleries furent interrompues lorsqu’avec joie ils découvrirent l’enfant : ce n’était ni une fille, ni un garçon… mais un adorable petit figuier !

- « Comme il est mignon ! s’écria la jeune femme. Bénissons la Divine Providence d’ainsi se manifester à nous en étalant sous nos pas la voie d’une si prompte réconciliation » (elle en était justement à la lecture de la page 213 de La Vie et les aventures étranges et surprenantes de Robinson Crusoé de York, marin, qui vécut 28 ans sur une île déserte sur la côte de l'Amérique, près de l'embouchure du grand fleuve Orénoque, suite à un naufrage où tous périrent à l'exception de lui-même, et comment il fut délivré d'une manière tout aussi étrange par des pirates. Écrite par lui-même, au moment précis où Robinson reçoit un message dans une bouteille). « Puisque ce n’est ni une fille, ni un garçon mais un figuier, nous l’appellerons Louis Figuier ».

Louis Figuier

Le petit Louis Figuier grandit sans encombre dans un jardinet de Montpellier. Il se sentait un enfant comme les autres, même si force lui était parfois de constater qu’il était un peu plus vert et un peu plus feuillu - surtout en été.

A huit ans, il voulait devenir pirate ; l’adolescence le vit s'adonner à des plaisirs simples, partageant sa vie entre ses passions, la musique, la photo, la mobylette et les copains, en particulier sa petite amie Charlotte-Amélie qui, lorsqu’elle était prise de mélancolie, venait souvent se réfugier dans ses branches.

Après des études au Jardin des Plantes (toujours à Montpellier ; Figuier était sédentaire), il devînt professeur. S’appuyant sur son expérience personnelle, il entreprit de démontrer dans un mémoire que, contrairement aux idées de Carl von Linné, le figuier fait partie du règne animal. S’ensuivit une fameuse controverse scientifique qui tourna à son désavantage, ce qui le conduisit à une importante remise en question.

Découverte de la figue fossile.

Il consacra alors le reste de sa carrière à la réhabilitation du figuier, s’attachant à démontrer scientifiquement son importance dans la religion chrétienne. Sa découverte en 1857 de la première figue fossile, antérieure à l’arche de Noé, fut relatée dans La France avant le Déluge. Il établit clairement que le figuier était une des premières formes de vie, présent dans le Jardin d’Eden avant Adam et Eve puisque ses feuilles avait été utilisées par eux pour se vêtir après la faute.

Dan Brown révèle dans le Da Vinci Code qu'Adam et Ève tenaient une figue.

Ces recherches fondamentales, qui donnaient enfin une base sérieuse à l’Ancien Testament, furent d’abord bien accueillies autant par le public que par l’Église catholique.

L’affaire se gâta lorsque des enquêtes ultérieures l’amenèrent à s’intéresser à l’origine de l’étrange appellation de la figue de Marseille, aussi nommée « couille du Pape ». Louis Figuier démontra par l’étymologie hébraïque (te'enah = figue, figuier ; ta'anah = rut, chaleur des animaux, passion, désir charnel ; to'anah = prétexte, occasion, motif) que le fruit défendu, prétexte au désir charnel, était non pas une pomme ou une orange mais bien une figue, souvenir que conservait encore de nos jours l’expression populaire « triture-moi la figue ».

Il se mit à suspecter, longtemps avant Dan Brown, l’existence au Vatican d’une conspiration visant à dérober au fidèle la connaissance de rituels ésotériques, relatifs à la figue, dans l’église chrétienne primitive. Il estimait que les répressions sanglantes de l’Inquisition au XVIème siècle avaient été motivées par le fait qu’une secte étrange, les Papefigues (dont aurait fait partie Rabelais) s’était donnée pour but de dévoiler toute la vérité sur ces pratiques secrètes.

Il n’eut pas le temps de mener à bien ses recherches. On le retrouva desséché dans son jardin, le 8 novembre 1894, apparemment victime d’une intoxication alimentaire due à la trop grande ingestion de glyphosate, un herbicide total, dont un jerrycan de 30 litres s’était malencontreusement renversé au pied de son tronc.

Le fantôme du Jardin des Plantes

L’affaire fut oubliée pendant un siècle. Elle connut cependant un rebondissement très inattendu récemment.

Le 8 novembre 1994, soit cent ans jour pour jour après la mort de l’illustre professeur, une étudiante en littérature s’était malencontreusement attardée sur un banc du Jardin des Plantes de Montpellier. Plongée contre sa volonté dans l’extase profonde et somnifère que lui causait la lecture de l’ouvrage Comment une figue de paroles et pourquoi de Francis Ponge, elle en était à cette période du poème, très précisément…

« Je ne sais pas du tout ce que c'est que la poésie, mais assez bien ce que c'est qu'une figue. C'est un des rares fruits dont on puisse manger tout : l'enveloppe la pulpe, la graine, tout l'ensemble dans chaque bouchée participant (concourt) à notre délectation.

Cela est encore plus sensible dans la figue sèche. Une petite bombe dans notre sensibilité. Vraiment le contraire du chewing-gum. »

…lorsque, soudain, elle ne put s’empêcher de réprimer un terrible bâillement.

Etudes poétiques

A ce propos, peut-être pouvons nous remarquer, à l’instar de Jean-Marie Gleize, que le parler sans dénaturer, exemple étymologique ou surétymologique, si l’on peut dire, de Francis Ponge, par son geste (présentable aussi bien comme une « mise en bouche ») qui consiste à figurer-re-figurer une figue, se veut re-fondateur d’un spiritualisme matérialiste auquel il ou elle, objet-poème ou figue, doit la figure imposée de la figue (sèche). Que la figue (sèche) soit aussi la leçon métapoétique, proséïque ou « réeliste » qu’implique le choix de la prose - et d’une prose en prose - le lecteur bénévole du dossier telquelien s’en pénètre en acquérant de ce fruit l’épaisseur diachronique - la figue au présent, le fruit sénéquiste, dit Ponge – qui lie le renouer ambigu du corps avec le monde[5].

Cette remarque méritait sans doute d’être énoncée. Mais poursuivons le fil de notre narration…

L’incroyable aventure de Mlle Ella-Valérie Cantelsus

Ainsi, embourbée malgré elle en un délétère état de conscience par la lecture ô combien spongieuse de Francis Ponge, l’innocente étudiante en était donc parvenu au mot « chewing-gum » - très exactement - sans qu’elle put même se rendre compte que le soir s’abattait derrière elle d’une manière extraordinairement rapide et, faut-il le dire ? particulièrement sinistre pour la saison – nous étions en Novembre, dois-je le rappeler ? Si l’obliquité de l’écliptique permet aisément d’expliquer un tel phénomène sous les Tropiques, il n’en va pas de même à Montpellier.

Alors que le frisson du crépuscule agitait dans son dos, tel un souffle glacé et de façon étonnamment sournoise, le symétrique balancement des tiges immenses de la bambouseraie, il lui sembla alors s’entendre susurrer, ainsi que par un serpent perfide qui se serait insinué près de son oreille, cette sentence misérablement singulière de sens :

« Triture-moi la figue. »

Le crépuscule tombait – l’ai-je dit ? Seul ce son isolé résonnait toujours dans l’air désastreux du soir :

« Triture-moi la figue. »

La jeune étudiante se retourna vivement pour se rendre compte avec la plus amère horreur que nul être vivant n’était là qui ait pu prononcer ces mots. Seul auprès d’elle dans l’allée désertée, le buste de Carl von Linné lui souriait de son air vicelard et narquois.

Autant le dire tout de suite, l’enquête qu’entraîna sa plainte contre X déposée auprès du commissariat de police n’aboutit à aucun résultat concret. La Terrifiante Affaire du Jardin des Plantes (comme on devait la baptiser bientôt) aurait été rapidement close et son mystère serait resté à peu près complet si, dans le mois qui suivit, un spécialiste de l’acoustique, s’intéressant de plus près aux phénomènes de déformations phoniques à la proximité des bambouseraies, ne s’était rendu compte que la phrase entendue par la jeune femme ne devait pas se comprendre « Triture-moi la figue » mais bien plutôt « Friture maléfique ».

Restait maintenant à découvrir qui avait prononcé ces paroles et pourquoi…

Notes

  1. Alain Pontoppidan, Tout sur le figuier, Arles, Actes Sud, coll. « Le nom de l’arbre », 1997.
  2. Elle n’était autre que Jean-Henri Fabre dans sa précédente incarnation.
  3. Michael Riffaterre, Ponge ou la figue autoréférentielle ; essais de surdétermination intertextuelle de l’illusion d'ekphrasis, in Structuralisme et aphasie de Wernicke, Paris, Seuil, 1982.
  4. Bien entendu l’auteur de cet article se rappelle parfaitement que le jeune couple n’avait rien compris sur le moment des prédictions de la grenouille. Il espère que le lecteur voudra bien lui faire confiance s’il affirme que les époux furent prévenus un peu plus tard, par des moyens très mystérieux qu’il ne peut révéler ici mais qu’on pourra lui demander en privé.
  5. Jean-Marie Gleize, Retrouvez Bouillon de légumes, Al Dante, collection Nuoc man, 2000.

Coucou dans la forêt
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